jijijim
dzedz |
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![]() Aux abords du périphérique, j'ai commencé à douter. Un instant, j'ai cru que le temps avait changé. Mais non, à la verticale le ciel était simplement gris moyen. Alors, ce brouillard qui fait du Sacré Coeur une silhouette sombre et floue ? De l'orage à venir ? Non, de la pollution, des milliards et des milliards de particules toxiques. L'air est soudain devenu piquant, âcre au fond de la gorge, saturé pour les muqueuses du nez. Et dire que je m'enfonce dans cette chambre à gaz ouverte à tous mais pas aux vents. Entrée libre vers une maladie à débit immédiat et prolongé. Mais qu'est-ce que je fous là ? En sortant de la gare, un camion en livraison pétait sa digestion de gasoil sur un rayon de quatre ou cinq mètres. Alors, dans la fumée, pour rallier l'arrêt de bus, j'ai suivi les traces de pisse de chiens, c'était plus sûr. Heureusement, au bout du chemin il y avait des gens et, qui sait, peut-être un sourire. A côté de moi, la mémé portait un parfum trop capiteux qui m'a donné mal à la tête. Un bonhomme à l'odeur grasse de pellicules renfermées l'a remplacée et j'ai eu mal au coeur. Un de ses semblables en avait laissé une couche sur la vitre. Mal aux yeux. Enfin, je ne vais pas pleurer, le chauffeur de bus n'a insulté personne et aucun walkman ne me hurle aux oreilles. Pour les pleurs, finalement oui : le contrôle dans le train m'a coûté 150 francs. Racket. Maison, ma maison, te voilà. Dans le hall de l'immeuble, une affiche annonce une désinsectisation la semaine prochaine. Sus aux cafards, tant que vous y êtes, |
sulfatez aussi ceux que je viens de rencontrer ! Et n'oubliez
pas celui qui klaxonne comme un malade dans la rue. Bouge ton cul, Ducon,
ça te fera du sport.
Le calme de l'appartement est surprenant. Je sors profiter du soleil. Balcon bien aimé de ma banlieue, pourquoi le voisin a-t-il le même ? Et pourquoi vient-il fumer dehors juste au moment où j'ouvre mes fenêtres ? Comme acte de résistance, j'arrose mon pied de ciboulette avec un cocktail nitrate-javel-ozone tout frais tiré du robinet. Demain, je retrouverai ces saloperies dans ma salade., chaîne alimentaire oblige. Cette histoire me rappelle mon professeur de thermodynamique. Il disait "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme". Parlons-en ! Il y a des millions d'années, des arbres morts ont été ensevelis sous des couches de sédiments. Ils se sont décomposés, ça a macéré et c'est devenu du pétrole. On l'extirpe aujourd'hui pour le mettre dans nos moteurs. C'est un acte malsain. Non seulement nous recyclons du mort, mais en plus nous en mourons. Qu'a cela ne tienne, me direz-vous, il suffit de le remettre d'où il vient - pas le bonhomme, le reste du pétrole qui est dans ses poumons - c'est à dire sous terre, sous une autre couche appelée béton. Sachez mes chers concitoyens que le béton est fabriqué à partir de collines grignotées jusqu'à voir leur nom rayé de la carte. Retour au point de départ. Remarquez, pour ce qui nous concerne, nos cimetières ne seront pas forés. Car les cimetières urbains n'ont plus le temps de devenir des gisements, ils sont déplacés vers la périphérie, histoire de construire des logements à la place. On fait du neuf avec du vieux, quoi. D'autant que le concept de cimetières-HLM existe déjà. C'est comme la fumée de cigarette sur le balcon : quelqu'un met des fleurs aux pieds de la cage d'escalier-tombes, tout le monde en profite. Même mort, la paix n'existe pas ! Enfin, faut pas se plaindre. Aujourd'hui, c'est calme, j'avais pris deux jours de congés. A la campagne. Elisabeth Gil
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illustration : Vincent Leclerc